La poissonnerie sans glace…

Notre vitrine de présentation

Mes poissons ne touchent jamais la glace. ”

Gérald PASSÉDAT, Le Petit Nice ***

La dernière eau que devraient voir les poissons est celle de la mer. ”

Josh NILAND, The Whole Fish Cookbook

Si nos équipements d’aujourd’hui nous permettent de nous passer de glace, il nous aura fallu presque deux années de recherches pour nous doter des outils et des méthodes adaptés à ce que nous pensons être la meilleure façon de travailler du poisson. Et c’est avec une très grande satisfaction que nous voyons notre démarche légitimée par les plus grands chefs à travers le monde ; qui les uns après les autres s’aperçoivent de la qualité incroyable des produits de la mer correctement travaillés et préservés de la glace et de toute humidité superflue. Il s’agit véritablement d’une petite révolution qui se profile pour les professions de la pêche, de la marée et de la poissonnerie.

La qualité du froid

Travailler sans glace ne veut pas dire travailler sans froid. Bien au contraire. Le transport, le stockage et la présentation du produit doivent se faire dans des environnements réfrigérés par des équipements de qualité. Sous l’apparente simplicité du process « sans glace » se cache une bien plus grande complexité technique et des équipements sophistiqués. Dans notre cas l’économie – l’écologie – du processus nous permet d’économiser près de 400 kilos de glace par jour ; mais nous avons dû équiper nos véhicules, étals et contenants en conséquence. Cela dit, nous ne sommes absolument pas des pionniers en matière d’équipements ou de technologies : les filières de la viande utilisent des équipements similaires aux nôtres ; avec succès et depuis de nombreuses années.

La qualité du produit

La méthode, aussi efficace soit-elle, n’est pas magique… Le poisson doit être pêché dans les meilleures conditions possibles et travaillé par des pêcheurs consciencieux. Le rôle de la criée est également très important : c’est à eux qu’il incombe d’assurer un stockage de qualité entre la débarque et la vente du poisson aux professionnels. Si le poisson n’est pas de qualité suffisante ou s’il a été mal stocké, trop glacé, à plat pendant trop longtemps… Il n’y aura plus grand chose à en tirer !

Le Poisson debout !

Le Saint-Pierre, Zeus Faber

Suspendre les gros poissons comme les grosses pièces de viande est devenu une évidence. Toute l’humidité superflue s’écoule naturellement et le poisson vieillit de la meilleure des façons. Finies les chairs brûlées par la glace qui se gorgent d’eau ; finis les sucs et le sang dans le fond des bacs de stockage. Le poisson « sèche » naturellement et les tissus les plus fragiles (yeux, branchies, péritoine,…) gardent leur éclat plus longtemps. Les poissons conservent leurs couleurs de façon surprenante. Les plus fragiles et plus beaux d’entre eux (les rougets, grondins, vieilles..) arborent une livrée éclatante plusieurs jours après la pêche.

Du travail en amont

Si le stockage debout permet d’améliorer la qualité du produit, il faut quand même « préparer » le produit à un stockage optimal : les grosses pièces doivent être écaillées, les branchies retirées ; le poisson soigneusement lavé à l’eau de mer si besoin (et si possible), puis séché et suspendu soigneusement.

Les résultats sont spectaculaires avec des poissons délicats comme la cardine.

Pour ce qui est de l’éviscération, elle doit avoir lieu le plus rapidement possible après la capture, peu importe l’espèce. Si certaines espèces ne sont « traditionnellement » pas vidées (bars, daurades, rougets…) ou si elles ont cessé de l’être (les thons et autres pélagiques), c’est pour une seule et unique raison : plus de poids dans la balance, donc, in fine plus de prix pour le vendeur. Tous les poissons devraient être vidés le plus rapidement possible ; je vous épargne ici les raisons sanitaires (parasites et autres) qui feront l’objet d’un post très prochainement.

Bar de ligne vidé et crocheté dans la vitrine réfrigérée

Quels bénéfices ?

Plus de matériel, plus de travail en amont, un stockage plus contraignant… Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?

Absolument.

Premièrement, parce que le travail effectué en amont (écaillage, éviscération, nettoyage) doit être effectué à un moment ou à un autre lors du processus de vente ; avant, ces tâches étaient effectuées (parfois dans l’urgence) au dernier stade lorsque le client achetait le poisson. Quant au stockage, apparemment plus contraignant, il est en fait plus simple à l’usage et permet de ranger plus de poissons dans un plus petit espace. D’un point de vue sanitaire, plus de glace, plus de plastiques, moins de manipulations : donc moins d’intrants susceptibles d’apporter des bactéries sur les produits.

Deuxièmement, le cycle de conservation du poisson est complètement différent et définitivement à l’avantage du consommateur et du professionnel.

Prenons l’exemple d’un bar (entier) de ligne d’environ un kilo. S’il est stocké sous glace de façon traditionnelle, ce poisson atteindra sa qualité optimale dans un court laps de temps (et pour quelques dizaines d’heures seulement) après sa capture. Passé ce délai, le poisson se dégrade très vite, et d’une façon imprévisible. Le côté stocké à plat peut commencer à présenter des meurtrissures, les yeux sont rapidement brûlés par la glace, les viscères se décomposent, d’éventuels parasites peuvent dégrader la chair qui se gorge d’eau, devient mate ; et le poisson commence à … sentir le poisson !

Le même poisson, vidé rapidement, débarrassé de ses ouïes et suspendu connaîtra un cycle complètement différent. Le poisson va progressivement atteindre un taux d’hygrométrie optimal et se bonifier pendant plusieurs jours. Les arômes se concentrent peu à peu et l’altération des chairs est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus lente. Lorsque vient le moment de fileter un tel poisson, trois, quatre ou cinq jours après la pêche, on découvre encore une chair nacrée et translucide. L’absence d’odeur est déroutante et l’intégrité des tissus est incroyablement bien préservée. Le produit reste net et la maturation est maîtrisée.

Ce processus nous permet de « stabiliser » le poisson en quelque sorte. Et ainsi de maîtriser la maturation de nos produits avec précision. Pour les gros et très gros poissons, le potentiel est immense et pour nous, professionnels, il s’agit d’une chance incroyable : nous pouvons désormais anticiper le meilleur moment pour travailler, vendre et cuisiner nos produits.

Pour aller plus loin, je vous propose de jeter un oeil aux travaux de Gérald Passédat, trois étoiles au Michelin (des Abysses à la Lumière, Flammarion) ; et de Josh Niland, auteur du Whole Fish Cookbook, chez Marabout, et qui fera l’objet d’un article très prochainement.

À bientôt,

Bastien Cabioch.

La barbue, Scophtalmus rhombus